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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/174

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la Saint-Élie, jour de sa fête, avait une grande importance pour lui… C’est…, dit-il, c’est toujours pour moi une mauvaise époque.

Je ne répondis rien et je me contentai de le regarder, assis devant moi, courbé, voûté, embarrassé, avec son regard songeur et voilé, qu’il dirigeait vers la terre.

« Aujourd’hui, continua-t-il, une vieille mendiante (Téglew ne laissait jamais passer un pauvre sans lui faire l’aumône) m’a dit qu’elle prierait pour mon âme ; n’est-ce pas étrange ?

— Il y a des gens qui aiment à s’occuper d’eux-mêmes constamment, pensai-je. Je dois cependant ajouter que les dernières paroles de Téglew étaient accompagnées d’une expression inaccoutumée d’inquiétude et de trouble. Ce n’était pas la mélancolie « fatale » ; quelque chose le tourmentait et le rongeait réellement. Et j’étais particulièrement frappé de l’expression d’abattement répandue sur ses traits. Ne sentait-il pas déjà naître en lui ces doutes dont il m’avait dit quelques mots ? Ses camarades m’avaient parlé, peu auparavant, d’un projet présenté par lui à ses chefs sur je ne sais quelle réforme dans l’artillerie, et qu’on lui avait renvoyé avec « réprimande ». Connaissant son caractère, je ne doutais pas qu’il n’eût été profondément blessé par le dédain de ses chefs, mais ce que je croyais voir dans Téglew était quelque chose de plus intime, avait une nuance toute personnelle.

— Il fait humide, dit-il tout à coup en secouant