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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/294

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L’Abandonnée.

m’emmener avec lui), je reçus par le valet de chambre, dans lequel il avait pleine confiance, une lettre de lui. Il me donnait rendez-vous pour neuf heures et demie dans la salle de billard. C’était une grande pièce basse, ajoutée en appentis au manoir, et donnant sur le jardin. Michel voulait causer avec moi pour arrêter nos résolutions définitives. Deux fois déjà je l’avais vu dans cette salle de billard… j’avais la clef de la porte extérieure. Dès que neuf heures et demie sonnèrent, je jetai ma pelisse sur mes épaules, je quittai le pavillon sans bruit, et, à travers la neige qui criait sous mes pieds, j’atteignis sans encombre le lieu du rendez-vous. La lune, baignée de vapeurs, semblait posée à la crête du toit comme un disque terne ; le vent sifflait d’une manière plaintive en contournant l’angle de la muraille. J’eus un frisson ; cependant je passai la clef dans la serrure.

J’entrai, laissant la porte entre-bâillée derrière moi, et je me retournai…

Une forme sombre se détacha du mur, fit quelques pas en avant et s’arrêta…

« Michel ! chuchotai-je.

— Michel est enfermé par mon ordre, et me voici, » fit une voix qui glaça le sang dans mes veines.

Je me trouvais en présence de Siméon Matveitch.

Je voulus m’enfuir, mais il me saisit par la main.

« Où donc veux-tu te sauver, misérable fille ? » dit-il en balbutiant de rage. « Si tu sais venir au rendez-vous que te donne un jeune écervelé, tu dois savoir aussi me répondre maintenant. »