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L’Abandonnée.

Siméon Matveitch ; mais il n’osait plus m’approcher, à ce qu’il me sembla. « Attends donc, toi ! M. Ratsch ! Ivan Demïanitch ! venez ! »

Une porte opposée à celle vers laquelle je me dirigeais, et communiquant avec la salle de billard, s’ouvrit. Mon beau-père apparut, un candélabre allumé dans chaque main. Son visage rond, rouge, éclairé des deux côtés par les bougies, rayonnait la satisfaction de se voir si bien vengé ; le laquais avait bien rempli sa besogne… Ah ! ces yeux affreux ! ces yeux blanchâtres ! quand donc enfin ne serai-je plus forcée de les voir !

« Veuillez saisir immédiatement cette fille, lui dit Siméon Matveitch, en m’indiquant impérieusement de ses mains tremblantes. Emmenez-la dans votre maison et mettez-la sous clef… qu’elle… ne puisse pas remuer même le petit doigt, que pas une mouche n’arrive jusqu’à elle… en attendant de nouveaux ordres ! Clouez les fenêtres, s’il le faut. Tu me réponds d’elle sur ta tête ! »

M. Ratsch déposa les candélabres sur le billard, s’inclina profondément devant Siméon Matveitch, puis, se dandinant et souriant d’une joie maligne, il se dirigea vers moi. Tel doit s’approcher le chat de la souris qui ne peut se sauver nulle part. Tout mon courage m’avait abandonnée. Je savais que cet homme était capable… de me battre. Je tremblai, oui ; oh ! honte ! oh ! honte ! je tremblai !

« Eh bien, mademoiselle, dit M. Ratsch, daignez me suivre. »