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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/302

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L’Abandonnée.

Il me prit lentement le bras au-dessus du coude… Il savait que je n’opposerais aucune résistance. Je m’avançai de moi-même vers la porte ; dans ce moment-là une idée unique me possédait, celle de fuir le plus vite possible le voisinage de Siméon Matveitch.

Mais l’horrible vieillard nous rejoignit. M. Ratsch m’arrêta et me retourna vite vers son patron.

« Ah ! ah ! cria celui-ci, et il me montra son poing fermé. Ah ! ah ! ainsi je suis le frère… de mon frère ! Des liens du sang, n’est-ce pas ? Mais on peut se marier avec le cousin ? C’est possible cela, Hé ? Emmène-la, toi, dit-il à mon beau-père. Mais tiens-toi pour averti : prends garde ! Le moindre rapport que quelqu’un aurait avec elle, aucune punition ne serait assez grande… Emmène-la ! »

M. Ratsch me conduisit dans ma chambre. Quand nous traversâmes la cour, il ne dit mot et se contenta de sourire en silence. Il ferma les volets, les portes, puis s’inclinant profondément comme il avait l’habitude de le faire devant Siméon Matveitch, il poussa un éclat de rire triomphant.

« Bonne nuit, princesse de Golconde, dit-il en ricanant. Tu n’as pas su prendre le prince Serin. C’est dommage ! L’idée n’était pas bête du tout ! La leçon qu’il faut tirer de ceci pour l’avenir, la voici : on ne doit jamais écrire. Ha ha ha ! Comme du reste tout a bien marché ! » Il sortit, mais en passant encore une fois sa tête par la porte : « Eh bien ? je n’ai pas oublié, hein ? Ai-je tenu ma parole ? Ho ho ho ! »