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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/303

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L’Abandonnée.

La clef tourna dans la serrure. Je respirai plus librement. J’avais eu peur qu’il ne me liât les mains… mais elles étaient libres, elles m’appartenaient ! J’arrachai aussitôt la cordelière de soie à ma robe de chambre, je l’approchai de mon cou, mais je la rejetai bien vite « Non, je ne vous causerai pas cette joie, » dis-je à voix haute. Et en effet, quelle folie ! Pouvais-je disposer de ma vie sans que Michel en sût rien, de ma vie que je lui avais donnée et qui lui appartenait ? Non ! scélérats ! non ! Votre cause n’est pas encore gagnée ! Il me sauvera, il me tirera de cet enfer, lui… mon Michel !

Mais alors je me souvins qu’il était prisonnier comme moi, et je cachai ma tête dans mon lit, et je sanglotai, sanglotai… La pensée que mon bourreau se trouvait peut-être là, derrière la porte, qu’il triomphait, cette pensée seule me donna le courage de rentrer mes larmes…

Je suis à bout de forces. J’écris depuis ce matin, et il fait nuit à présent ; une fois que j’aurai quitté ce papier, il ne me sera plus possible de reprendre la plume… Finissons donc vite, vite ! M’arrêter à toutes les choses pénibles qui se succédèrent après cette terrible journée, ce serait trop pour moi !

Vingt-quatre heures après, je fus conduite en traîneau couvert dans une maison rustique qui appartenait à Siméon Matveitch, et autour de laquelle furent placés des paysans chargés de me surveiller. Pas un instant je ne fus seule… J’ai appris plus tard que dès l’arrivée de Michel, mon beau-père nous