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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/334

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L’Abandonnée.

vercle ! Comme il avait l’air satisfait de lui-même quand, avançant vigoureusement le pied, il cambra sa taille en se rejetant en arrière !

Il n’aurait pas déployé plus de résolution pour lapider son pire ennemi. Ainsi qu’à l’église, Victor se tint sur la réserve, enveloppé dans son manteau, dont il caressait le col neuf ; les autres enfants de M. Ratsch imitèrent leur papa avec zèle. Ils trouvaient fort amusant de lancer du sable et de la terre ; au reste, on ne pouvait guère leur en vouloir.

Bientôt, à la place de la fosse, il y eut un tertre, et nous allions quitter le cimetière lorsque tout à coup M. Ratsch fit militairement demi-tour, frappa sur sa cuisse et avertit messieurs les respectables assistants qu’il nous invitait, nous et le très-vénérable clergé, à une fête commémorative en l’honneur de la défunte, fête préparée non loin de là, dans la grande salle d’une très-décente auberge, recommandée à son choix par notre très-estimable Sigismond Sigismondowitch…

En prononçant ces paroles, il désigna le suppléant du préposé à la police, et ajouta que lui, Ivan Demïanitch, malgré son grand chagrin et sa confession luthérienne, tenait en honneur, comme un véritable Russe, les vieilles coutumes nationales.

« Mon épouse, s’écria-t-il, et les dames qui ont daigné venir ici avec nous peuvent se faire reconduire chez elles ; nous autres hommes, nous voulons célébrer devant un modeste repas l’ombre de celle qui n’est plus. » Cette invitation fut acceptée avec un