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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/90

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mercie et j’accepte, Anna ; ici : Je remercie et j’accepte, Evlampia.

Les deux jeunes femmes se levèrent et signèrent l’une après l’autre. Slotkine se levait déjà et allait prendre la plume pour signer ; mais Kharlof le repoussa en passant l’index dans sa cravate avec une telle force que le gendre en eut comme un hoquet. Un silence d’une minute s’ensuivit. Kharlof laissa échapper un sanglot, et, se rangeant de côté, il dit d’une voix sourde :

« Maintenant, tout est à vous. »

Ses deux filles et son gendre échangèrent un regard, et, s’approchant, le baisèrent sur le bras entre le coude et l’épaule.

L’ispravnik fit lecture à haute voix de l’acte légal, puis, accompagné du procureur, il s’avança sur le perron et annonça l’événement aux témoins assermentés, aux paysans de Kharlof et aux gens de service. C’est alors que commença la prise de possession des deux nouvelles propriétaires, qui apparurent aussi sur le perron, et que l’ispravnik désignait du doigt chaque fois que, fronçant le sourcil et donnant à son visage, insouciant d’habitude, une expression menaçante, il inculquait aux paysans le devoir de l’obéissance. Certes, il aurait pu se passer de ces recommandations, car je ne crois pas qu’il existât dans tout l’univers des physionomies plus humbles et plus façonnées à la soumission que celles des paysans de Kharlof. Vêtus de caftans rapiécés et de pelisses en loques, mais les reins fortement serrés dans la cein-