Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Vous étiez les bienvenus ; vous êtes les bien quittés. Je m’en vais. Je ne suis plus le maître ici ; je suis un visiteur et j’use de ma liberté… Anna, tiens compagnie à ces messieurs ; moi, je m’en vais. C’est assez. »

Il nous tourna le dos et, sans ajouter une parole, sortit lentement de la chambre.

Le départ du maître de la maison devait forcément déranger la réunion, d’autant plus que nos deux hôtesses disparurent bientôt à leur tour. Ce fut en vain que Slotkine essaya de nous retenir. L’ispravnik ne put s’empêcher de reprocher au procureur sa franchise déplacée.

« Je n’ai pu faire autrement, répondit l’autre ; ma conscience a parlé.

— Quand je vous disais que c’est un franc-maçon, murmura Souvenir à mon oreille.

— Votre conscience, répliqua l’ispravnik ; nous savons ce que c’est que votre conscience. Elle habite votre poche, tout comme chez nous autres pécheurs. »

Pendant cette conversation, le prêtre, déjà debout, mais pressentant la fin du repas, envoyait dans sa bouche morceau sur morceau.

« Je vois que vous avez bon appétit, lui dit Slotkine avec aigreur.

— C’est en prévision… ou comme provision, » dit humblement le prêtre.

On sentait dans cette réponse une habitude de faim invétérée.