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Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/98

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Un bruit de voiture se fit entendre devant le perron, et nous nous séparâmes.

Au retour, personne ne se trouva pour empêcher Souvenir de bavarder, car Lisinski, ayant déclaré qu’il était excédé de ces momeries « inutiles », était parti à pied, et ce fut Gitkof qui prit sa place dans notre voiture. Le major en retraite était tout penaud et ne faisait qu’agiter ses moustaches dans le vide. « Eh, eh ! Votre Honneur, criait Souvenir, il paraît que la subordination est allée au diable ! Attendez, fiancé de malheur, on vous en mettra du poivre… hein ! pour vous faire sauter. » Souvenir se tordait de rire, et le pauvre Gitkof ne faisait toujours qu’agiter ses moustaches.

Rentré à la maison, Je racontai à ma mère tout ce qui s’était passé. Elle m’écouta jusqu’au bout et hocha souvent la tête.

« Cela ne promet rien de bon, dit-elle ; je n’aime pas toutes ces innovations. »

Le lendemain, Kharlof vint dîner chez nous. Ma mère le félicita sur l’heureuse terminaison de l’affaire qui l’avait occupé.

« Tu es maintenant un homme libre et tu dois te sentir plus léger.

— Certainement, je me sens plus léger, répondit Kharlof d’un air qui disait tout le contraire. Rien ne m’empêche maintenant de penser à mon âme et de me préparer à l’heure de la mort.

— Eh quoi ! demanda ma mère, est-ce que tes fourmis te courent encore dans la main ? »