Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/323

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d’avance ; mais la porte se referma violemment en heurtant ma main. La pièce d’argent tomba et roula à mes pieds.

– Vieux coquin ! pensai-je ; don Quichotte de la Manche ! Il paraît qu’on t’a ordonné de te taire… ; mais tu ne me tromperas pas.

Je me promis d’éclaircir le mystère, quel qu’il fût. Pendant quelque temps, je ne sus à quoi me résoudre. Je me décidai enfin à demander dans le village à qui appartenait l’habitation, et qui y était réellement arrivé. Je voulais y retourner ensuite et n’en pas revenir que je n’eusse approfondi ce mystère. « Mon inconnue finira pas sortir de sa maison, me disais-je, et je la verrai au jour, de près, comme une femme vivante, non comme une apparition ». Le village était situé à une verste de distance, et je m’y dirigeai tout de suite d’un pas rapide. Une étrange émotion bouillonnait en moi et me donnait du courage ; la fraîcheur fortifiante du matin me ravivait après les agitations de la nuit.

Dans le village, deux paysans qui revenaient des champs m’apprirent tout ce que je pouvais savoir par eux. L’habitation, de même que le village dans lequel je venais d’entrer, portait le nom de Michaïlovskoë ; ils appartenaient à la veuve d’un major, Anna Fédorovna Chlikof ; celle-ci avait une sœur non mariée, qui s’appelait Pélagie-Fédorovna Badaef ; elles étaient toutes deux âgées et riches ; elles n’habitaient presque jamais la maison, elles étaient toujours en voyage ; elles