Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/324

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n’avaient avec elles que deux servantes et un cuisinier. Anna-Fédorovna Chlikof était revenue la veille de Moscou avec sa sœur seulement. Cette dernière assertion me surprit beaucoup. Je ne pouvais supposer que ces paysans eussent reçu l’ordre de se taire sur le compte de mon inconnue. Mais il m’était tout aussi impossible d’admettre qu’Anna-Fédorovna Chlikof, veuve de quarante-cinq ans, et cette ravissante femme qui m’était apparue hier, fussent une seule et même personne. D’après la description qu’on m’avait faite, Pélagie Badaef ne brillait point non plus par la beauté, et puis, à la seule pensée que la femme que j’avais aperçue à Sorrente pouvait s’appeler Pélagie et même Badaef, je haussai les épaules et me mis à rire méchamment. « Et pourtant je l’ai vue hier dans cette maison… Je l’ai vue, de mes yeux vue », pensai-je. Irrité, furieux, mais plus inflexible que jamais dans ma résolution, je voulus aussitôt retourner à l’habitation.

Je regardai ma montre ; il n’était pas encore six heures. Je résolus d’attendre, certain que tout le monde dormait encore, et que je ne ferais qu’exciter inutilement la méfiance en errant autour de la maison à cette heure matinale ; de plus, je voyais des buissons s’étaler devant moi, et derrière ces buissons un bois de trembles… Je dois ici me rendre justice et déclarer que cette fébrile agitation n’avait point éteint en moi la noble passion de la chasse. – Il se peut, pensai-je, que je tombe sur une compagnie de coqs