Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/325

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de bruyère qui me fasse passer le temps. – J’entrai dans le taillis. La vérité me force à dire encore que je marchais avec insouciance et sans aucun respect pour les lois de l’art de la vénerie. Je ne suivais pas constamment mon chien des yeux, je ne battais pas les buissons épais dans l’espoir qu’un coq de bruyère à crête rouge s’enlèverait avec fracas, je consultais sans cesse ma montre, ce qui décidément ne valait rien du tout. Ma montre marqua enfin neuf heures. – Il est temps, m’écriai-je à voix haute, et je revenais déjà sur mes pas pour aller vers l’habitation, lorsqu’un magnifique coq de bruyère rasa l’herbe touffue en battant des ailes tout près de moi ; je tirai l’admirable oiseau et le blessai sous l’aile. Il ne tomba pas tout de suite, il se redressa au contraire, se dirigea vers le bois, et, plongeant à ras de terre, essaya de s’élever au-dessus des premiers trembles qui formaient la bordure du bois ; mais bientôt il faiblit et roula dans le fourré en tournoyant sur lui-même. Négliger une pareille trouvaille eût été réellement impardonnable ; je m’élançai vivement sur les traces de l’oiseau blessé et j’entrai dans le massif. Au bout de quelques instants j’entendis un gloussement plaintif, suivi d’un bruit d’ailes ; c’était le malheureux coq de bruyère qui se débattait sous les pattes de mon chien. Je le ramassai et le mis dans ma gibecière ; puis, me relevant, je regardai autour de moi… Je demeurai cloué à ma place…

Le bois où je me trouvais était très touffu. À une petite distance serpentait une route étroite, et sur