Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/76

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lait peu, écoutait bien et regardait attentivement, presque fixement, comme si elle eût voulu se rendre compte de tout. Elle demeurait souvent immobile, laissant retomber ses bras et s’abandonnant à ses réflexions ; son visage exprimait alors le travail intérieur de sa pensée.

Un sourire imperceptible apparaissait sur ses lèvres et s’évanouissait aussitôt, ses grands yeux sombres se levaient doucement. — Qu’avez-vous ? lui demandait mademoiselle Boncourt, qui recommençait à la gronder, sous prétexte qu’il n’est pas convenable qu’une jeune fille soit pensive et se donne des airs distraits. Mais Natalie n’était pas distraite, elle étudiait au contraire avec zèle, lisait et travaillait volontiers, quoique rien ne lui réussit du premier coup. Elle sentait profondément et fortement, mais en secret ; elle avait rarement pleuré dans son enfance ; maintenant elle ne soupirait même presque plus, et ne faisait que pâlir faiblement lorsqu’elle éprouvait un chagrin. Sa mère la regardait comme une jeune fille sage et raisonnable, et l’appelait en plaisantant : mon honnête homme de fille, mais elle n’avait pas une haute opinion de ses facultés intellectuelles.

« Par bonheur, ma Natalie est froide, disait-elle ; — ce n’est pas comme moi… tant mieux ! Elle sera heureuse. » Daria Michaëlowna se trompait. Du reste, il est rare qu’une mère comprenne bien sa fille.

Natalie aimait Daria Michaëlowna, mais n’avait pas une entière confiance en elle.