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— Tu n’as rien à me cacher, lui dit un jour sa mère ; mais si cela était, tu me ferais des mystères. Tu as bien ta petite tête…

Natalie regarda sa mère et se dit : « Pourquoi donc n’aurais-je pas ma tête ? »

Lorsque Roudine la rencontra sur la terrasse, elle allait dans sa chambre avec mademoiselle Boncourt pour mettre son chapeau et descendre au jardin. On avait cessé de traiter Natalie en enfant ; mademoiselle Boncourt ne lui donnait plus depuis longtemps ni leçons de mythologie, ni leçons de géographie, mais elle lui faisait lire chaque matin soit un chapitre d’histoire, soit un récit de voyage, ou quelque autre livre instructif. Daria Michaëlowna choisissait ces lectures comme si elle avait suivi un plan quelconque. Le fait est qu’elle lui donnait simplement tout ce que lui envoyait son libraire français de Saint-Pétersbourg, à l’exception des romans d’Alexandre Dumas et Cie, qu’elle se réservait pour elle-même. Lorsque Natalie lisait des ouvrages historiques, le regard de mademoiselle Boncourt devenait particulièrement aigre et sévère derrière ses lunettes ; la vieille Française prétendait que l’histoire n’était remplie que de choses dangereuses à connaître.

Mais Natalie lisait aussi des ouvrages dont mademoiselle Boncourt ne soupçonnait pas l’existence ; elle savait tout Pouchkine par cœur.

Natalie rougit légèrement en rencontrant Roudine.

— Vous allez vous promener ? lui demanda-t-il.