Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/186

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La voix d’Irène devenait de plus en plus faible et son parler plus lent.

— En effet, le général Ratmirof pourrait remarquer… voulut reprendre Litvinof.

Irène baissa les yeux ; un tressaillement étrange apparut autour de sa bouche, — apparut et disparut.

— Non, vous ne m’avez pas comprise, interrompit-elle. Je ne songeais pas à mon mari. À quel propos ? Il n’a rien à remarquer. Mais je le répète, une séparation nous est indispensable à tous deux.

Litvinof reprit son chapeau, qui avait glissé sur le parquet.

— Tout est fini, pensa-t-il, il faut s’en aller. Ainsi il ne me reste qu’à prendre congé de vous, Irène Pavlovna, dit-il tout haut, et son cœur se serra tout à coup comme s’il eût prononcé son propre jugement. Il ne me reste plus qu’à espérer que vous ne conserverez pas de moi un trop mauvais souvenir, et que si jamais…

Irène lui coupa de nouveau la parole.

— Attendez, Grégoire Mikhailovitch, ne prenez pas encore congé de moi ; ce serait trop… précipité.

Litvinof tressaillit, mais une amertume brûlante gonfla aussitôt son cœur.

— Mais je ne puis rester, s’écria-t-il. Pourquoi, pourquoi prolonger ce tourment ?

— Ne prenez pas encore congé de moi, répéta Irène. Il faut que je vous revoie… Encore une muette séparation comme à Moscou… non, je n’y