Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/218

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cateur ? Ne comprenez-vous pas que ce n’est pas ma sympathie pour vous, quelque profonde qu’elle puisse être, qui m’a poussé à vous parler ainsi, à vous donner le droit de me soupçonner de ce qui me répugne le plus au monde, d’indiscrétion et d’impertinence ? Ne voyez-vous pas qu’ici l’affaire est d’un tout autre genre, que vous avez devant vous un homme brisé, détruit, irrémédiablement anéanti, par le même sentiment dont il cherche à vous préserver et… par la même femme !

Litvinof fit un pas en arrière.

— Est-ce possible ? Qu’avez-vous dit ? Vous… vous… Sozonthe Ivanovitch ? Mais madame Belsky ? et cet enfant…

— Ah ! ne m’interrogez pas… C’est une sombre, une effrayante histoire, que je n’entreprendrai pas de vous raconter. Je n’ai presque pas connu madame Belsky, cet enfant n’est pas à moi ; j’ai tout pris sur moi, parce qu’elle l’a voulu, parce que cela lui était nécessaire. Serais-je sans elle dans votre insupportable Bade ? Enfin, avez-vous pu croire, avez-vous pu un moment vous figurer que ce n’est que par sympathie pour vous que je me suis décidé à vous avertir ? Je plains cette bonne, cette jolie jeune fille, votre fiancée. À tout prendre, que me fait à moi votre avenir ? mais je crains pour elle… j’ai peur pour elle.

— Vous me faites beaucoup d’honneur, monsieur Potoughine, dit Litvinof, mais comme, d’après vos propres paroles, nous nous trouvons dans une