Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/219

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position identique, pourquoi ne vous appliquez-vous pas à vous-même vos beaux préceptes, et ne dois-je pas attribuer vos alarmes à un autre sentiment ?

— C’est-à-dire à la jalousie, voulez-vous dire ? Ah ? jeune homme, jeune homme, vous devriez avoir honte de finasser, vous devriez avoir honte de ne pas comprendre l’amère douleur qui parle maintenant par ma bouche. Non, nous ne sommes pas dans une position identique ! Moi, un vieil original, ridicule, inoffensif… et vous ! Mais qu’y a-t-il là à discuter ? Vous ne consentiriez pas à prendre pour une seconde le rôle que je joue et que je joue avec reconnaissance ! De la jalousie ? Celui qui n’a pas une ombre d’espoir n’est pas jaloux, et ce n’est pas à présent que je commencerais à éprouver ce sentiment. J’ai uniquement peur… peur pour elle, comprenez cela. Et pouvais-je m’attendre, lorsqu’elle m’a envoyé vous chercher, que le sentiment de ce qu’elle a nommé sa faute l’entraînerait si loin ?

— Mais permettez, Sozonthe Ivanovitch, vous semblez savoir…

— Je ne sais rien et je sais tout. Je sais, ajouta-t-il en se détournant, je sais où elle a été hier. On ne peut plus l’arrêter ; c’est une pierre qui roule jusqu’au fond. J’aurais été tout aussi insensé, si je m’étais imaginé que mes paroles pussent vous retenir… vous auquel une telle femme… Mais finissons-en. Je n’ai pas pu me maîtriser, voilà toute mon excuse. Puis, comment savoir et pour-