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H2 HÉMOIRES

La physionomie du troisième enfant, Ileoucha ou Élie, était assez insignifiante : son galbe allongé et bosselé, son regard de myope, son air tour à tour stupide et maladivement inquiet, ses lèvres serrées et immobiles, ses sourcils rapprochés qui ne s’écartaient plus, son interminable clignotement devant des feux déjà endormis sous la cendre, ses cheveux de filasse qui pendaient de dessous une laide casquette de gros feutre, et qu’il renvoyait des deux mains contre ses oreilles ; tout cela formait un ensemble peu gracieux. Il avait des souliers d’écorce tressée, sous les bandelettes de toile dont les paysans s’entortillent les pieds jusqu’au dessus de la cheville en guise de chaussettes ; un triple tour de corde à puits assujettissait au-dessus des hanches sa souquenille de toile noire, qui était assez propre. Élie et Paul avaient également l’air de garçons de douze ans. Constantin (Kostia) n’annonçait pas plus de dix ans, et pourtant il m’intéressait par son air pensif et son regard triste ; son visage était petit, maigre, pointu ; la partie inférieure était efiilée comme un museau d’écureuil ; on avait de la peine à lui trouver des lèvres. Ce qui faisait surtout unei étrange impression, c’étaient ses grands yeux noirs qui bril-l laient d’un éclat fondant et semblaient toujours vouloir dire quelque chose, tandis que jamais un mot ne lui venaità la bouche. Il était de petite taille, de complexion grêle, et vêtu pauvrement.

Quant au cinquième, Vania ou Jeannot, je ne l’avais pas d’abord aperçu ; il était étendu par terre, bien tranquillement entortillé d’une natte carrée, et rarement il dégageait à demi de dessous cette enveloppe sa petite tête frisottée. Clétait un enfant qui ne pouvait guère avoir plus de sept ans. J’étais couché sous la feuillée, un peu à l’écart, et je regardais ces enfants. Un chaudron était suspendu au-dessus de l’un des feux ; ils y faisaient cuire de petites pommes de terre. Paul y avait l’œil, et se tenant sur les genoux, il les remuait avec un éclat de bois dans l’eau bouillante. Fédia était couché aux trois quarts sur un endroit tant soit peu incliné, il se tenait appuyé sur son coude et laissait retomber à droite et à gauche la robe de son armiak. Élie était