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24 HÉHOIRES

avançait toujours dévalant, dévalant avec l’idée de venir ajouter sa peur à celle des autres, c’était Vavil, notre tonnelier ; il était allé acheter pour son usage un grand broc cerclé de fer, et il s’en était coiüé tant bien que mal par commodité. »

Les cinq enfants rirent de l’aventure, et ensuite restèrent un moment tout à fait silencieux, comme il arrive à toutes les personnes qui conversent en plein air. Je promenai mes regards de tous côtés ; partout régnait la nuit triomphante et solennelle ; à la fraîcheur du soir avancé avait succédé lai bonne et saine chaleur de minuit ; elle avait encore plusieurs heures à séjourner sur la campagne, endormie sous d’am-l ples et moelleux rideaux aériens : longtemps encore il fallaiti attendre les premières teintes rosées de l’aurore, les premiers égayements du réveil de la nature. La lune, absente dj l’horizon, ne devait y paraître que plus tard. Les innom brables étoiles du ciel semblaient avoir là-haut un courant qui les emportait toutes à l’envi les unes des autres, comme si elles eussent eu dans la voie lactée un rendez-vous auquel elles voulaient et ne pouvaient arriver ; et en les regardant exécuter leur course au clocher, il me sembla Plusieurs foiâ sentir sous moi la rotation rapide, incessante de la terre..., J’en étais là de ma rêvasserie, quand soudain un cri per-i cant, douloureux, retentit deux fois au-dessus de la rivière, puis quelques minutes après se répéta de la même manièred mais plus loin...

Kostia frissonna... r

’ « Qu’est-ce là ? dit-il..

î C’est le cri du héron, répondit fort tranquillement Pau. ’g

—Du héron ? du héron ?... Mais, Paul, qu’est-ce qu’oni m’a donc dit hier au soir...’ ? que.... Peut-être que tu saisl cela, toi, Paul.

— Que je sais quoi ? parle donc. I

— Voici ce que j’ai entendu dire. Je me rendais de Kamennaîa-Grade à Chachkino ; j’ai longé d’abord toute notre, coudraie, et puis j’ai pr-is par les bas prés ; tu sais, la-bas, ày l’endroit ou le pré côtoie le tournant rapide de la rivière.... i