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132 IBIUIRES

IX.

La rencontre du mort et le nain Kactane. Je revenais de la chasse dans un petit chariot sautillant, et sous le poids des ardeurs suiïocantes d’un jour d’été nuageux (on sait que ces jours-là les chaleurs sont encore plus lourdes que dans’les jours clairs où il n’y’pas de vent). Je sommeillais le corps balancé en tout sens, la mine singulièrement morose, livré en proie à cette âne et subtile poussière blanche que soulèvent continuellement les roues sur le grand chemin..., quand je fus tout-à-coup réveillé et rendu attentif par l’agitation extraordinaire et l’air eiïaré de l’homme qui me menait ; jusqu’à ce moment, il avait dormi en équilibre sur sa planche bien plus profondément que moi qui étais à demi couché dans le chariot. Il tirait à lui les rênes, s’agitait sur son siège et commençait à gronder les chevaux en regardant obliquement çà et là ; je me mis à mon tour à regarder de tous les côtés en avant. Nous cheminions dans une grande plaine labourée, fort accidentée par de nombreuses collines qui étaient labourées aussi et offraient l’aspect des vagues d’une mer quelque peu houleuse au regard de l’hommo qui galope en voiture. Dans le sens du chemin, l’œil ne pouvait embrasser que quatre ou cinq verstes d’un espace désert ; dans le lointain, de petits massifs de bouleaux coupaient seuls de leurs cimes arrondies et dentelées, la ligne presque droite de l’horizon. D’étroits sentiers s’étendaient dans les champs, disparaissaient dans les creux, ceignaient les collines ; et sur l’Tu1e de ces dernières qui, à quelque cinq cents pas de l’endroit où nous roulions alors, avait l’sir de nous fermer le passage, je distinguai un convoi quelconque. C’était justement l’objet qui fixait l’attention particule re de mon cocher.