D’UN SEIGNEUR RUSSE. 197
avait chassé loin de sa présence la fille Tatiane. Il faut croire qu’on n’avait pas besoin d’elle.
XII.
Foma le Bireoukk
Je revenais de la chasse, seul, le soir, en béegovaïadrochka ’. Il me restait huit verstes à faire ; mon excellente jument arpentait d’un pas long, égal, rapide, la route poudroyante, en reniflant de temps en temps et secouant ses oreilles. Mon chien, tout harassé qu’il était, semblait être retenu à l’attache, tant il suivait régulièrement, juste à un demi-pas des roues de l’arrière. Il s’amassait un orage dans l’air. Un gros nuage lilas et violacé s’élevait lentement de derrière la forêt au-dessus de moi, et à ma rencontre couraient, se pressaient en désordre de longues nuées grises ; les aubiers s’agitaient, grelottaient, bruissaient sans qu’il partit y avoir de vent. La chaleur, qui était suüocante, se changea en une fraîcheur humide ; les ombres en quelques moments se brunirent. Je frappai des guides le tluuc de majumeut, je descendis dans un ravin qui coupait le chemin, j’en traversai le lit desséché tout tapissé de broussailles, j’escaladai le haut talus qui s’élevait devant moi et j’entrai dans le bois. La route serpentait en cet endroit entre d’épais massifs de coudriers déjà tout remplis d’obscurité. J’avançais, mais avec bien de la peine ; mon mince équipage s’achoppait aux racines séculaires des chênes et des tilleuls, qui coupaient à chaque instant de longues fondrières transversales, et les ornières creusées par les roues des télègues ; mon cheval commençait à se couvrir d’écume sous le frottement du harnais. Tout àcoup un vent fort fondit sur t. Dans le gouvernement d’orel on appelle bireouk tout homme silencieux, morose, qui vit à part et s’isole de tout le monde. 2. Equipage très-léger, formé d’un simple banc entre deux roues.
