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Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/261

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— Eh bien, cela me fait plaisir. Il va vous être dur de quitter votre excellente et vénérable tante, et je ne doute point que vous n’ayez pour elle la plus vive reconnaissance.

— J’adore ma tante, dit Andreoucha ; et il ferma les yeux d’un air de componction. ·

— Sûrement, sûrement, cela se conçoit très-bien et cela vous fait honneur, mon jeune ami ; mais, d’une autre part, représentez-vous la joie qu’elle aura, avec le temps, à la nouvelle de vos succès !

— Embrasse-moi, Andreoucha, » murmura l’excellente dame.

Andreoucha se précipita dans les bras de sa tante, qui lui dit : « Eh bien, à présent remercie ton bienfaiteur… » Andreoucha donna une accolade à la panse de M. Benevolenski ; et le sur lendemain de cette petite scène, M. Benevolenski partit emmenant son jeune pupille.

Dans le cours des trois premières années de l’absence d’Andreoucha, il écrivit assez souvent, et il joignait à ses lettres quelques dessins. M. Benevolenski ajoutait parfois quelques mots, le plus ordinairement favorables au jeune homme. Puis les lettres devinrent de plus en plus rares, puis il n’en vint plus du tout. Le gentil neveu fut une année entière sans donner signe de vie à sa tante. Celle-ci commençait à s’inquiéter sérieusement de ce silence, quand enfin elle reçut un billet ainsi conçu :


« Chère tante,


« Peotre Mikhaïlitch n’est plus : il y a quatre jours qu’un affreux coup d’apoplexie foudroyante m’a enlevé mon protecteur ; je n’avais, vous le savez, d’autre soutien que lui dans Pétersbourg. Sans doute j’ai aujourd’hui vingt ans ; sept années d’étude ont été pour moi sept années de progrès remarquables et remarqués, je m’en flatte. Je compte donc sur mon talent, j’y compte fermement pour gagner ma vie. Croyez que je ne me sens point découragé ; mais toutefois si, pour ces premières conjonctures, vous pouvez m’envoyer