Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/48

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32 MEMOIRES

trouchka n’avait pas un si grand tort.... On pouvait punir le drôle ; mais, au fond, à mon sens, il n’était pas bien coupable. Arina.... ah ! elle, il y a trop à dire. Vous concevez que je lui ai fait tout de suite raser la tète, je l’ai fait habiller de toile brune et l’ai reléguée au village. Ma femme y a perdu une excellente femme de chambre ; mais on ne peut pourtant pas soutïrir le désordre dans sa maison. Un membre est gangrené, vite qu’on l’ampute ! Jugez à présent. Vous connaissez ma femme ? Un ange, n’est-ce-pas ?... Elle s’était attachée à cette créature, à cette Arina, qui le savait bien.... Etcette fille n’apas rougi.... Oh ! elle.m’a aigri avec son ingratitude, elle m’a blessé.... Dites tout ce que vous voudrez : dans cette race, dans cette classe de gens, ne cherchez pas de délicatesse de sentiments ; ne leur demandez rien, rien, rien.... Vous avez beau nourrir le loup, toujours il cherche où est le bois.... Cela m’apprendra.... Mais enfin je voulais vous prouver.... que.... »· Et M. Zverkof, sans achever son discours, se tourna vers son coin, ramassa les plis de son manteau, et fit un mâle effort pour dompter son agitation. Mon lecteur comprend maintenant pourquoi je regardais avec intérêt la meunière Arina.

y a-t-il longtemps que tu as épouséce brave homme ? lui dis-je. ·

— Deux ans..

- Deux ans ? M. Zverkof t’en a donc donné la permission ? — J’ai été rachetée..

— Par qui ?

— Par Savéli Alexéitch. ·

— Qui est cela ? ·—

Mon mari. ¤.

Ermolaï sourit à la dérobée.

Est-ce que M. Zverkof vous aurait parlé de moi ? ·· ajouta Arina après un moment de silence.

Je ne savais trop que répondre ; mais le meunier l’ayant appelée de loin, elle se leva et courut vers lui. A—t-elle là un bon mari ? demandai-je à Ermolaî. — Pas bien mauvais.