Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/161

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aprés cela se presente le fameux Cap de l’Ancre, ainsi nommé, parce que les Argonautes, selon Denys de Byzance, furent obligez de s’y munir d’une ancre de pierre. Minerve apparemment avoit oublié une piece si necessaire, elle qui avoit pris soin de tous les agrets d’Argos, c’est à dire du plus grand et du meilleur vaisseau qu’on eût veu sur la mer avant ce temps-là. Ce vaisseau alloit à la voile et à la rame comme les galiotes, et tous les gens de l’equipage étoient des heros. Le fanal d’Asie est sur ce Cap, auprés duquel se voyent aussi ces rochers si dangereux chez les anciens, que Phinée exhorta Jason de n’y passer que par un beau temps, autrement, dit-il, vôtre Argos se brisera, fust-il de fer. Ces rochers ne sont que les pointes d’une Isle ou d’un écueil separé de la terre ferme par un petit détroit, lequel reste à sec quand la mer est calme, et se remplit d’eau à la moindre bourrasque ; alors on ne voit que la pointe la plus élevée de l’écueil, les autres étant cachées sous l’eau ; c’ést ce qui rend ce lieu si dangereux, sur tout si l’on veut s’obstiner de passer par le détroit, comme il semble que Phinée le conseilloit aux Argonautes. On n’osoit aller que terre à terre dans ces premiers temps, où la navigation étoit à peine en son enfance. Pour nous qui n’étions pas certainement dans un Argos, mais dans une felouque à quatre rames, nous affectâmes d’en passer bien loin. Les Argonautes risquerent le coup ; car l’histoire, ou plutost la poësie, dit que leur vaisseau s’accrocha si fort sur ces rochers, qu’il fallut que Minerve descendît du ciel pour le pousser de la main droite dans l’eau, tandis qu’elle s’appuyoit de la gauche contre les pointes du rocher. Les Argonautes n’étoient-ils pas d’habiles matelots ? Aussi Apollonius remarque fort judicieusement, qu’ils ne commencerent à respirer à leur aise, qu’aprés que leur épouvante fut dissipée.