Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/256

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avant qu’elles s’épanoüissent. Lorsqu’elles sont passées, le pistile devient un fruit cilindrique, long d’un pouce à 15 lignes, épais d’environ quatre lignes, cannelé, arrondi par les deux bouts. Il s’ouvre par le haut en cinq ou six parties, et laisse voir autant de loges qui le partagent en sa longueur, séparées les unes des autres par les aîles d’un pivot qui en occupe le milieu. C’est ce pivot qui est terminé par le filet du pistile ; et bien loin de se dessecher, il devient plus long tandis que le fruit est vert, et ne tombe point lorsqu’il est mur. Les graines sont tres menuës, brun-clair, longues de prés d’une ligne. Les feüilles de cette plante sont stiptiques. Les fleurs ont une odeur agréable, mais qui se passe facilement.

Cette plante aime la terre grasse, humide et vient sur les côtes de la mer Noire le long des ruisseaux, depuis la riviere d’Ava jusques à Trebisonde. Cette espece passe pour mal faisante. Les bestiaux n’en mangent que lorsqu’ils ne trouvent pas de meilleure nourriture. Quelque belle que soit sa fleur, je ne m’avisai pas de la presenter au Pacha Numan Cuperli, Beglierbey d’Erzeron, dans le temps que j’eus l’honneur de l’accompagner sur la mer Noire ; mais pour la fleur de l’espece précedente, elle me parut si belle, que j’en fis de gros bouquets pour mettre dans sa Tente ; cependant je fus averti par son Chiaia, que cette fleur excitoit des vapeurs et causoit des vertiges. La raillerie me parut assez plaisante, car le Pacha se plaignoit de ces sortes d’incommoditez. Le Chiaia me fit connoître qu’il ne railloit point, et m’assûra qu’il venoit d’apprendre des gens du pays, que cette fleur étoit nuisible au cerveau. Ces bonnes gens par une tradition fort ancienne, fondée apparemment sur plusieurs observations, assûrent aussi que le miel que les abeilles font aprés avoir succé cette fleur, étourdit ceux qui en mangent, et leur cause des nausées.