Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/27

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On assûre à Constantinople que les Renoncules font le plus grand ornement des parterres du Serrail ; mais ces parterres sont en petit nombre, en comparaison des potagers et des vergers qui occupent presque toute la pente et le bas de ce Palais. Les Cyprez, les Pins et les brossailles deshonorent fort ces vergers ; mais les Turcs sont en possession de négliger leurs jardins, ou du moins de ne prendre soin que de leurs Melons et de leurs Concombres. Il y a des familles entiéres qui ne vivent que de Concombres pendant plus de la moitié de l’année ; on les mange tout cruds sans les peler, comme si c’étoient des pommes ; ou bien on les coupe par grosses tranches, mais ce n’est pas pour les mettre en salade ; on les jette dans un bassin plein de lait fort aigre, et aprés en avoir beaucoup mangé l’on boit une grande potée d’eau fraîche : ces fruits sont excellens et ne donnent point de tranchées. Les Pages du Palais n’oseroient entrer dans les lieux où on les cultive, depuis que Mahomet II. en fit éventrer jusques à sept pour découvrir celui qui avoit mangé un de ses Concombres.

Outre les Officiers dont on vient de parler, les Sultans ont encore dans leur Palais deux sortes de gens qui servent à les divertir ; sçavoir les muets et les nains : c’est une espéce singuliere d’animaux raisonnables que les muets du Serrail. Pour ne pas troubler le répos du Prince, ils ont inventé entre eux une langue dont les caracteres ne s’expriment que par des signes ; et ces signes sont aussi intelligibles la nuit que le jour par l’attouchement de certaines parties de leurs corps. Cette langue est si bien reçûë dans le Serrail que ceux qui veulent faire leur cour, et qui sont auprés du Prince l’apprennent avec grand soin ; car ce seroit manquer au respect qui lui est dû, que de se parler à l’oreille en sa presence.

Les nains sont de vrais singes qui font mille grimaces