Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/37

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soit en lui envoyant demander de temps en temps des sommes considerables ; ainsi le Visir met tout à l’enchére pour pouvoir fournir à tant de dépences : son Palais est le marché où toutes les graces se vendent ; mais il y a de grandes mesures à garder dans ce commerce, car la Turquie est le pays du monde où la justice est souvent la mieux observée parmi les plus grandes injustices.

Si le Grand Visir a le genie de la guerre, il y trouve mieux son compte que dans la paix. Quoique le commandement des armées l’éloigne de la Cour, il a ses pensionnaires qui agissent pour lui en son absence ; et la guerre avec les Etrangers, pourvû qu’elle ne soit pas trop allumée, lui est plus favorable qu’une paix qui causeroit des guerres civiles. La milice s’occupe pour lors sur les frontieres de l’Empire, et la guerre ne lui permet pas de penser à des soulevemens ; car les esprits les plus remuans et les plus ambitieux, cherchant à se distinguer par de grandes actions, meurent souvent dans le champ de Mars ; d’ailleurs le Ministre ne sçauroit mieux s’attirer l’estime des peuples, qu’en combattant contre les infidelles.

Après le premier Visir, il y en a six autres qu’on nomme simplement Visirs, Visirs du Banc ou du Conseil, et Pachas à trois queuës, parce qu’on porte trois queuës de cheval quand ils marchent, au lieu qu’on n’en porte qu’une devant les Pachas ordinaires. Ces Visirs sont des personnes sages, éclairées, sçavantes dans la loy, qui assistent au Divan, mais ils ne disent leur sentiment sur les affaires qu’on y traitte, que lors qu’ils en sont requis par le Grand Visir, qui appelle souvent aussi dans le Conseil secret, le Moufti et les Cadilesquers ou Intendans de Justice. Les appointemens de ces Visirs sont de deux mille écus par an : le Grand Visir leur renvoye ordinairement les affaires de peu de consequence, de même qu’aux Juges ordinaires ;