Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/391

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Persans étoient de bonnes gens, nous commençâmes à faire les méchans, et à porter nos mains sur nos sabres. En effet à force de crier et de parler une langue qu’ils n’entendoient pas, comme nous n’entendions pas non plus la leur, ils nous laissérent en repos. Tant il est vrai que par tout pays ceux qui font le plus de bruit, et qui sont en plus grand nombre, ont toujours raison. Cependant comme les plus distinguez du lieu, qui s’étoient assemblez au bruit, eurent assûré nos voituriers que les gens à cheval qui passent par là payent ordinairement un Abagi par teste, nous le donnâmes volontiers ; aprés-quoi les gardes nous firent plus d’excuses et plus de remercimens que nous n’en meritions. On nous apprit que ces sortes de droits étoient destinez pour la garde des chemins, et que cela se pratiquoit dans plusieurs Provinces de Perse où les Gouverneurs payent des gens pour la sûreté publique ; le Roy ne leur permettant de faire exiger cecs droits, qu’à condition qu’ils seront responsables des marchandises volées. Les habitans du Cosac passent pour fiers et se font descendre de ces Cosaques qui habitent dans les montagnes, au Nord de la mer Caspienne. Les bourgeois de Dilijant, qui s’étoient attroupez autour de nous, nous firent demander pourquoi nous n’avions pas des habits à la franque, et des chapeaux : Nous leur répondîmes que nous venions de Turquie où l’on est fort mal reçeu avec un pareil équipage. Cela les fit rire. On nous presenta d’assez bon vin, et nous continuâmes nôtre route encore pendant une heure au delà du village, pour aller camper jusques au haut d’une montagne couverte de Chesnes, d’Ormeaux, de Frênes, de Sorbiers, et de Charmes à grandes et à petites feüilles.

Nous nous flattions de passer la nuit dans un gîte aussi agréable ; mais nos voituriers nous en firent partir à onze