Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/392

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heures du soir et nous firent traverser, pendant une nuit tres-sombre, des montagnes affreuses. Dans la saison des neiges peu de gens risquent cette route. Pour moy je m’abandonnai entierement à la conduite de mon cheval, et je m’en trouvai beaucoup mieux que si j’avois voulu le conduire. Un automate qui suit naturellement les loix de la Mecanique, se tire bien mieux d’affaires, dans ces occasions, que le plus habile Mecanicien qui voudroit mettre en usage les regles qu’il a apprises dans son cabinet, fust-il de l’Academie Royale des Sciences ? Enfin nous nous trouvâmes sur les cinq heures du matin, le 30 Juillet, dans une plaine auprés de Carakesis, chetif village sur un petit ruisseau. Là nous fûmes les maîtres à nostre tour, comme la raison le demandoit, et nous obligeâmes nos voituriers à s’arrester pour avoir le plaisir de dormir : mais bon Dieu que ce plaisir fut court ! le démon de la Botanique qui nous agitoit nous éveilla bientost ; nous nous repentîmes pourtant d’être restez, car nous ne fîmes pas grand butin dans cette plaine. Le fleuve Zengui qui vient du lac d’Erivan et qui va passer par cette ville, y serpente ; mais il n’est pas considérable.

Nous partîmes le 31 Juillet à cinq heures du matin, pour traverser des montagnes assez agréables, quoique sans arbres : aussi commençames-nous à sentir la fumée des bouzes de vaches en approchant de Bisni, et cette odeur nous incommoda fort dans un Couvent de Moines Armeniens où nous dinâmes. Leur cour est toute pleine de cette belle espece de Cresson que Zanoni a pris, sans raison, pour la premiere espece de Thlaspi de Dioscoride. Ces bons Religieux nous receûrent fort honnêtement, mais nous ne trouvâmes pas chez eux les mêmes agrémens que chez les Moines Grecs. Les Armeniens