Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/41

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ge de Constantinople, et même de toute la Turquie s’il étoit nécessaire, avant qu’un procez soit jugé diffinitivement en Europe. Un Turc d’Affrique plaidant au Parlement de Provence contre un marchand de Marseille, qui l’avoit fait promener pendant longues années de tribunal en tribunal, fit une plaisante réponse à un de ses amis qui voulut s’informer de l’état de ses affaires. Elles sont bien changées, dit l’Afriquain, lorsque j’arrivai dans ce pays-ci, j’avois un rouleau de pistoles d’une brasse de long, et tout mon procez étoit énoncé sur une demi feüille de papier : presentement j’ai plus de quatre brasses d’écriture, et mon rouleau n’a que demi pouce de long.

Avec toutes ces précautions, on ne laisse pas de faire de grandes injustices en Turquie, car on y reçoit toutes sortes de personnes en témoignage, et les plus honnêtes gens sont quelquefois exposez à perdre leurs bien et leur vie, sur la simple déposition de deux ou trois faux-témoins. Si la justice est bien exercée dans le Divan de Constantinople, c’est que l’on apprehende que le Sultan ne soit aux écoutes à la fenêtre qui répond sur la tête du Grand Visir, et qui n’est fermée que d’une jalousie et d’un crête : combien ne commet-on pas d’injustices criantes dans les Divans des autres villes, où les Cadis se laissent le plus souvent corrompre par argent, et emporter par leurs passions. Il est vrai que l’on peut appeller de leurs jugemens à Constantinople, mais tout le monde n’est pas en état de faire le voyage. Voici encore un grand abus.

Les Religieux Turcs par un privilége particulier ne sont point soûmis à la justice ordinaire ; ainsi plusieurs personnes qui se sont enrichies dans le maniement des affaires, et qui apprehendent les recherches, se font Dervis ou Santons. Il n’y auroit pas d’ordre Religieux si puissant parmi les Chrêtiens, que le deviendroit celui ou pourroient être