Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/441

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un terrein solide. Quel cadeau pour des gens qui n’avoient que de l’eau dans le ventre, d’enfoncer jusques à la cheville dans le sable ? En plusieurs endroits nous étions obligez de descendre au lieu de monter, et pour continuer nôtre route il falloit souvent se détourner à droit ou à gauche ; si nous trouvions de la pelouse, elle limoit si fort nos bottines, qu’elles glissoient comme du verre, et malgré nous il falloit nous arrêter. Ce temps-là n’étoit pourtant pas tout-a-fait perdu, car nous l’employions à rendre l’eau que nous avions beüe ; mais à la verité nous fûmes deux ou trois fois sur le point d’abbandonner la partie. Je crois même que nous aurions mieux fait, pourquoi lutter contre un sable si terrible et contre une pelouse si courte que les moutons les plus affamez n’y sçauroient broutter ? cependant le chagrin de n’avoir pas tout veû nous auroit trop inquietez dans la suite, et nous aurions toujours crû d’avoir manqué les plus beaux endroits. Il est naturel de se flatter, dans ces sortes de recherches, et de croire qu’il ne faut qu’un bon moment pour découvrir quelque chose d’extraordinaire et qui dédommage de tout le temps perdu. D’ailleurs cette neige qui se presentoit toujours devant nos yeux, et qui sembloit s’approcher, quoiqu’elle en fut tres-éloignée, avoit de grands attraits pour nous, et nous fascinoit continuellement les yeux : plus nous en approchions, moins cependant nous découvrions de Plantes.

Pour éviter les sables qui nous fatiguoient horriblement, nous tirâmes droit vers de grands rochers entassez les uns sur les autres, comme si l’on avoit mis Ossa sur Pelion, pour parler le langage d’Ovide. On passe au dessous comme au travers des cavernes, et l’on y est à l’abri des injures du temps, excepté du froid ; nous nous en apperçumes bien, mais ce froid adoucit un peu l’alteration