Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y transporte comme dans le centre du negoce. Le Patriarche des Chrétiens qui sont dans ce pays-là, est appellé Catholique, parce qu’il est généralement reconnû pour le Chef de leur Religion. Il paroit par là que le commerce des marchandises de Perse et des Indes n’est pas nouveau. Peut-être que ce Dubios étoit la plaine des Trois Eglises, et que les Romains s’y rendoient avec leurs marchandises, comme à la plus celebre Foire du monde. Il n’y a pas de lieu plus propre pour servir d’entrepost commun aux nations d’Europe et d’Asie.

Le 16 Aoust nous partîmes à trois heures du matin, sans escorte ni Caravane. Nos voituriers nous firent marcher jusques à sept heures dans des campagnes seches, pierreuses, incultes et fort desagréables. Nous montâmes à cheval sur le midi, et passâmes par Cochavan qui est le dernier village de Perse. La peur commença à s’emparer de nous sur cette frontiere, mais je ne m’attendois pas au malheur qui devoit m’arriver au passage de la riviere d’Arpajo ou d’Arpasou. Il s’y noye quelqu’un tous les ans, à ce qu’on dit, et je courus grand risque d’être du nombre de ceux qui payent ce tribut : non seulement le gué est dangereux par sa profondeur, mais outre cela la riviere charrie de temps en temps de gros quartiers de pierres qui roulent des montagnes, et que l’on ne sçauroit découvrir au fond de l’eau. Les chevaux ne sçauroient placer leurs pieds sûrement dans ce fond ; ils s’abbattent souvent et se cassent les jambes, quand elles se trouvent engagées parmi ces pierres. Nous marchions tous de file deux à deux ; mon cheval qui suivoit son rang, aprés s’estre abbattu d’abord, se releva heureusement sans se blesser ; mais ce ne fut pas sans peur de ma part. Je m’abbandonnay alors à sa sage conduite, ou plutôt à ma bonne fortune, et je le laissai aller comme il voulut, le piquant avec le talon de la bottine,