Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/483

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Ces Armeniens soit qu’ils travaillent pour eux ou pour les marchands de Julfa, sont infatigables dans les voyages, et méprisent les rigueurs des saisons. Nous en avons veû plusieurs et des plus riches, passer de grandes rivieres à pied ayant l’eau jusques au col, pour relever les chevaux qui s’étoient abbatus, et sauver leurs balles de soye ou celles de leurs amis ; car les voituriers Turcs ne s’embarrassent pas des marchandises qu’ils conduisent, et ne répondent de rien. Les Armeniens dans les passages des rivieres escortent leurs chevaux, et rien n’est plus édifiant que de voir avec quelle charité ils se secourent entre eux et même les autres nations, pendant les Caravanes. Ces bonnes gens ne se dérangent guere dans leurs maniéres ; toujours égaux, ils fuyent les étrangers qui sont trop turbulens, autant qu’ils estiment ceux qui sont pacifiques ; ils les logent volontiers avec eux et leur donnent à manger avec plaisir. Quand nous soulagions quelqu’un de leurs malades, toute la Caravane nous en remercioit. Lors qu’ils sont avertis qu’une Caravane doit passer, ils vont un jour ou deux au devant de leurs confreres leur porter des rafraichissemens, et sur tout du meilleur vin : non seulement ils en offrent aux Francs, mais ils les obligent même par leurs honnêtetez d’en boire à leur santé. On les accuse mal à propos d’amer trop le vin, il ne nous a jamais paru qu’ils en abusassent ; au contraire il faut convenir que de tous les voyageurs, les Armeniens sont les plus sobres, les plus œconomes, les moins glorieux. S’ils portent, en sortant de chez eux, des provisions pour les plus grands voyages, ils en rapportent souvent une bonne partie ; il est vray que ces provisions ne leur coûtent rien à voiturer, car ordinairement quand on loüe six chameaux, on en donne un septiéme sur le marché pour porter le bagage, les ustenciles, les hardes. Les provisions