Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/44

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Je ne suis pas venu leur faire la charité. Depuis plusieurs jours, la poche de mon gilet et la tirelire de mon enfant sont vides. Mais on m’a dit qu’on avait faim ici et je viens dire bonjour… Mon Dieu ! ce n’est pas extraordinaire d’avoir faim ! Mais ils sont trente-huit qui ont une colique dans l’estomac, une torpeur dans les membres et un pressoir dans le crâne ! Dites le vrai !…

On ouvre le judas, puis la porte : on me connaît. Ne suis-je pas un pauvre homme, moi aussi ?

Ah ! les admirables femmes ! Plusieurs d’entre elles ont un diplôme d’institutrice. Elles auraient pu exercer un sacerdoce purement intellectuel, se marier, avoir des enfants, devenir leur vieille maman, posséder un fauteuil au coin du feu et babiller avec des chérubins roses… Eh bien ! non ; elles ont adopté les enfants de ceux qui n’en voulaient plus. C’est bien plus facile, n’est-ce pas ? Le grand Galiléen doit être content de ses petites sœurs qui, après avoir donné leur cœur à tout venant, iront dormir dans un cimetière d’hospice, sous une croix de buis…

Et les enfants ? Maigres rejetons de poitrinaires, d’alcooliques ou de pires encore, santés délicates, cerveaux crasseux, cœurs gâtés. Ils sont entrés ici alors qu’ils n’avaient que quatorze jours, trois mois, cinq mois… C’est à ces petiots que les directeurs de prison doivent leur sinécure. C’est à ces petiots, devenus de vieux parias, que nos enfants lanceront des cailloux, lorsque leur silhouette épique de traîne-malheur historiera le bout du chemin, vers le soir. Ce sont ces petiots qui se feront raccourcir sur une place publique, offerts en spectacle à la foule, leur complice — et qui auront un cercueil d’osier… Les voilà, les parias, les affamés d’amour de demain !

Non ! ceux-ci ne seront pas des parias. Ils seront de