Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/48

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d’un dieu immense et terrible. Ils n’ont plus osé regarder en face cette image créée par eux, ils n’en parlent plus qu’en se cachant les yeux de leurs mains tremblantes, comme s’ils doutaient de l’épaisseur de leurs paupières, ils sont devant ce mythe comme le petit enfant que la course bizarre des nuages chasse à la maison, et ils disent avec les Inspirés : « L’harmonie des cieux proclame l’intelligence et la toute-puissance d’un dieu. »

L’universelle harmonie ? L’heure est universellement funèbre et créatrice.

Au moment que j’écris, des millions d’êtres se sont enlacés : leurs baisers et leurs râles composent une immense clameur qui jette son vain défi à la Mort. Humains, insectes, fleurs, tous les êtres s’aiment dans la tragédie. Il y a du sang maintenant sur certains lits. Les insectes en délire s’entredévorent. Le chasseur implacable a tué les bêtes qui sombraient dans les extases de l’amour. Cette fleur, afin de pouvoir porter à sa voisine le baiser fécondant, s’est décapitée. Les cristaux blessés se sont égarés en cherchant les liquides nourriciers. La mort dans la vie. Dans les lointains de l’infini, des étoiles ignorées, en route depuis des millions d’années, ont surgi aux carrefours célestes, se sont entrechoquées, se sont pulvérisées comme des billes de verre et ont peuplé l’éther d’étincelles.

L’universelle harmonie ? Demain, les journaux nous diront les millions de morts de cette nuit joyeuse où l’on danse, aime, boit et chante. Les assassinés des champs de bataille ; les travailleurs écrasés dans la mine, cuits dans les métaux liquides, agriffés par les machines que leurs mains avaient construites ; les hommes abattus par les voleurs ; les femmes abattues par les égoïstes ; les marins glissant au fond des mers ; tous ceux qui se sont suicidés par humilité ou désespoir. On ne parlera pas des malades