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Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/49

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qui auront exhalé leur dernier souffle par les fissures de leurs dents serrées, des femmes qui se seront tordues pour mettre au monde un nouveau pèlerin tragique. On ne dira ni les pleurs, ni les grincements de dents, ni les blasphèmes, ni les mauvais désirs. On ne prévoira pas les tragédies du lendemain que ces pleurs, ces mauvais désirs auront préparées. C’est bien assez pour un jour !

L’universelle harmonie ? À chaque minute que je vis, moi, atome cosmique, fragment anthropomorphique du Monde, je sens que ce Monde pousse un râle ou un cri divin de rut — cri d’angoisse devant l’apparition du Néant ou de victoire sur le Néant. Toute notre vie est là : la lutte contre la mort. La chute ou la victoire — qui n’est que l’ajournement de la chute.

J’ai trouvé — autrefois, hélas ! — dans mon petit livre de lectures, une page sur la vie. On la comparait à un fleuve. Le ruisseau clair et folâtre sort des pierres où il était emprisonné : chose perdue, ignorée, il devient à la surface de la terre une manifestation de vie. Il babille dans les fleurs et sur les cailloux luisants : de petits poissons jouent dans son eau, des oiseaux viennent y boire. L’existence est joyeuse et lente. Mais les bords du ruisseau s’écartent au point de livrer passage à des barquettes. Le ruisseau est asservi : il broie la farine, les grains de colza, il scie des planches au rythme des roues au bruit d’horloge. La vie s’en va, plus soucieuse, parmi les visions lumineuses et les vagues désirs. Les bords du cours d’eau se sont éloignés de plus en plus. Les usines pompent le fleuve et lui rendent les pires déchets du travail. D’autres eaux polluées viennent se joindre au ruisseau d’hier. Le ciel est plein de fumées. Il n’y a plus d’oiseaux ni de verdure ni de parfums. La vie est lourde de bateaux et accidentée d’écluses et les lendemains sombres. Puis, un jour, le fleuve aperçoit une im-