Page:Tousseul - Aux hommes de bonne volonté, 1921.djvu/54

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scruter le ciel et qui ont fait tant de mal. On perd la notion des distances, de toutes les mesures. Nos yeux ne sont pas faits pour de si larges visions. Le soleil s’enfonce dans la brume comme une boule qui fond : il est devenu un dôme de cristal incendié, un croissant, un insecte, une tache, une braise. C’est fini. Le ciel est rose.

Des moustiques m’entourent et leur vol chante comme des fils télégraphiques. Des perdrix vagabondes gloussent. Le bruit de tarare d’un attelage crépite sur une route invisible. Des alouettes rasent la terre dans un dernier vol. Un homme enfonce un pieu à coups de marteau. Des grillons stridulent dans les fossés. Des croassements de corbeaux tombent d’une drève. Un appel humain. Des abois de chiens. Et c’est chaque fois la même note étouffée. On comprend soudain que l’immense silence de la plaine est fait des milliers de bruits, venus de loin ou de près, qui composent une musique grandiose et terrassante, parce qu’elle apporte l’écho des vies innombrables dans lesquelles on se perd : feuilles qui tombent, insectes qui volent, chariots qui roulent, enfants qui crient.

Une cloche chante et, comme un écho, une autre lui répond à des kilomètres de distance, et puis une autre, et une autre encore. De l’Est, du Nord, de l’Ouest, les musiques de métal convergent vers moi qui suis presque invisible dans le soir qui tombe. Le brouillard a coulé sur la campagne et isolé l’horizon comme une île. Un attelage se meut un instant dans du rose et disparait. Les bouquets ouatés des chardons frissonnent et les aigrettes d’un pissenlit prennent leur vol. La fumée d’un petit feu de plantes séchées envahit toute la plaine. Il fait doux, il fait beau, il fait grand. Est-ce que ma pensée, petite onde spirituelle qui rayonne de mon crâne et qui voyage