Page:Tremblay - La sépulture d'Étienne Brulé, 1915.djvu/14

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L’oraison funèbre n’est pas longue, mais elle comporte au moins de la pitié envers un malheureux dont le Récollet lui-même avait eu à se plaindre. Champlain nous dit en effet que Sagard, de retour à Québec en 1624, après une année de séjour aux Hurons, était mécontent de la conduite de certains Français montés dans la région, et surtout d’Étienne Brullé, qui recevait alors cent pistoles par an pour (Œuvres, VI, 81) :



inciter les Sauuages à venir à la traicte, ce qui eſtoit très mauvais exemple d’enuover ainſi des perſonnes si maliuuans, que l’on euſt du chaſtier ſéuèrement, car l’on recognoiſſoit cet homme pour eſtre fort vicieux & adonné aux femmes.


Si nous prenons le récit de Sagard à la lettre, il s’agit ici d’une simple exécution. Le mot condamné évoque, dans les mœurs huronnes, la comparution devant un Conseil. Or il fallait que le crime fût d’ordre public pour que le Conseil s’en occupât ; il devait être très grave pour que la sentence comportât la distribution des membres du supplicié en un festin anthropophagique, ce dernier rite s’observant pour tirer vengeance d’un ennemi de la nation, après les tortures traditionnelles (Rel., VI, 244). Mais la dépouille d’un ennemi public subissait le sort réservé aux cadavres des sorciers exécutés ; elle était brulée et les cendres en étaient jetées au vent (Rel., xiv, 36). Nous savons formellement que Brulé a été enterré, puisque le Conseil de la Fête des Morts, tenu à la Rochelle en 1636, proposa au P. de Brébeuf de lever le corps de Brulé avec celui de Chaudron (Rel., x, 304), tous deux inhumés dans les bois (id., 306), et de les placer dans l’ossuaire commun. Il y a donc contradiction entre les coutumes et la conduite des Hurons à l’égard de Brulé. Brébeuf nous dit que l’interprète avait été traîtreusement assassiné (VIII, 92). Si le meurtre eut été le fait d’un particulier, à la suite d’un songe, ou pour d’autres raisons d’ordre privé, la victime n’aurait pas été mangée. Une vengeance personnelle aurait été punie par les chefs, surtout par Aénons, hôte de Brulé. On satisfaisait d’ordinaire à un meurtre au moyen de présents offerts aux parents de la victime (Rel., VIII, 122 ; x, 214-222). Le meurtre pur et simple d’un Français, à une époque où la traite allait rouvrir, pouvait entraîner des conséquences sérieuses pour le village, la tribu, même la race, qu’on ne manquerait pas de tenir responsable. Il n’y eut ni présents offerts aux Français, ni représailles de la part de ces derniers. Ni les coutumes ni les lois n’exigèrent de réparation. Champlain avait pourtant décrété que l’Algonquin de la Petite Nation, convaincu de l’assassinat d’un Français qui ne lui avait fait aucun tort, méritait la corde (Rel. VI, 6).