Champlain, les traitants, et même les missionnaires, perdaient un précieux auxiliaire dans la personne de Brulé, mais le silence se fit sur toute l’affaire. Les coupables étaient-ils trop importants pour être punis, ou la victime trop infime ? Un soupçon n’a jamais quitté l’esprit des Jésuites (Rel., XII, 86) :
Ce Capitaine (Aénons) eſt l’un de ceux qu’õ croit qui ont tué ce miſerable Bruſlé, dont
les plaies ſont encores toutes ſanglãtes, mais il a tellement réparé ceſte faute par l’affection
qu’il a depuis porté aux François, que Notre Seig. luy a faict la grace de venir
mourir en Chreſtien entre nos bras.
Aénons avait lui-même amené Brulé en Huronie (Rel., x, p. 308) :
Le Maiſtre de feſtin de la Rochelle dit là deſſus par condeſcendance, que pour luy
il n’y prétendoit rien, & qu’il eſtoit content que l’autre, qui eſt Chef de cette Pointe
(Aénons), euſt de ſon coſté les corps de nos deux François. Celui-cy reſpondit
qu’il ne prétendoit rien à celuy qui auoit eſté enterré à la Rochelle (Chaudron) :
mais que pour le corps d’Éſtienne Bruſlé il luy appartenoit, que c’eſtoit luy qui l’auoit embarqué & emmené en ce Païs.
Aénons ne figure ni dans Champlain ni dans Sagard. On ne le voit pas non plus dans les Relations antérieures au retour des Jésuites à Québec. On sait cependant que ce Ouendat était un personnage important — chef d’Oenrio en 1634, chef de toute la Pointe en 1636. Les Sauvages ne portaient pas toujours le même nom (Rel., XVI, 202) :
On me dit encor que les Sauuages changent ſouuent de nom. On leur en donne vn
à leur naiſſance, ils le changent en l’aage viril, & en prennent vn autre en leur vieileſſe ; voire meſme ſi quelqu’vn eſt bien malade, s’il s’échappe de cette maladie, il quittera parfois ſon ancien nom comme s’il luy portoit malheur pour en prendre vn autre de meilleur augure.
Aénons protesta toujours de son innocence. S’il était coupable, on pourrait croire qu’il prévoyait l’impunité en se rendant à Québec (Rel., x, 236) :
… ie n’en fus pas en la peine, & ceux qui s’attendoient de me uoir aſſommer
furent bien eſtonnez, quand ils virent l’honneur qu’on me fit ; iuſques là que quelques
vns diſoient, que puis qu’on traitoit ſi fauorablement vn meurtrier, le vray moyen
de ſe faire aymer des François eſtoit de fendre la teſte à quelqu’vn…
Pour être seul coupable, il avait dû être poussé à bout par Brulé,
mené audelà des bornes de la patience humaine, même de la patience
huronne, si admirée de Sagard ; car Aénons fut toujours empressé
à l’endroit des Français. Il offrait son canot aux Jésuites pour