Page:Tremblay - La sépulture d'Étienne Brulé, 1915.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentence très grave dans un pays, où Champlain était aimé à l’égal d’un Oki bienfaisant.

Louis Amantacha avait été témoin des adieux. Il remonta en Huronie avec Brulé peu après le démarrage des Kirkts, et ne manqua pas de raconter, avec enjolivures, ce qu’il avait vu et entendu. Ces aménités étaient de mise entre tribus jalouses les unes des autres. Champlain parti, la présence de Brulé à Toanché restait un incident banal ; mais le retour des Français et, surtout, la réintégration de l’ancien gouverneur, changeaient la situation. Champlain pouvait demander compte à ses alliés de l’hospitalité accordée à un déserteur soudoyé. Brulé, repris par les Français, était passible de la peine de mort. L’avoir hébergé constituait une infraction réprouvée par l’alliance. Brulé, trahissant son maître, avait aussi trahi les Hurons en vendant Champlain, leur bienfaiteur, aux Anglais, alliés des Iroquois. Toanché avait droit de se protéger contre les représailles possibles du gouverneur, et comme la sentence de 1629 n’était pas oubliée, on tint conseil. Ne nous étonnons pas de ces délibérations. Elles sont quotidiennes chez les Hurons, et pour des sujets beaucoup moins graves. Deux hommes puissants avaient publiquement exprimé leur mépris à l’endroit de Brulé, deux Français aimés entre tous : Champlain, qui promettait un châtiment à l’interprète, puis Echon, le P. de Brébeuf, qui fustigeait vigoureusement et saintement toute irréligion. Ces grands capitaines allaient revenir incessamment, l’un pour reprendre l’administration du pays entier, l’autre pour recommencer ses prédications. Les Hurons jugeaient tout selon leurs coutumes. Ils vengeaient cruellement toute atteinte portée à leurs droits ou à leurs intérêts ; ils devaient croire que la punition du traître serait formidable et qu’elle s’étendraient même à tous ceux qui avaient toléré sa présence chez eux. Le Conseil ne pouvait trouver qu’une solution, la mort. Pour excuser la décision, le festin anthropophagique démontrerait aux Français que le condamné avait été jugé comme ennemi de la nation et des alliés.

Brulé, convaincu de sorcellerie, eut été torturé, massacré, puis incinéré ; sa dépouille n’aurait pas eu les honneurs de la sépulture. Un voleur encourait la bastonnade. Un débauché n’était pas condamné par un Conseil, la galanterie étant plutôt une qualité qu’un vice chez les Ouendats, malgré les objurgations des missionnaires. Le sacrilège n’existait pas dans un centre areligieux. Restait la trahison. Elle avait nui à Champlain, un ami précieux ; elle avait fermé la traite à tous les villages ; elle avait profité aux Iroquois, alliés des Anglais. Ces faits suffisent, croyons-nous, à justifier la conjecture suivante :