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Page:Tremblay - Pierre qui roule, 1923.djvu/38

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PIERRE QUI ROULE

venu à l’encan du tanneur, où sa roue de fortune ne chômait guère.

Les uns achetaient pour lui rendre service ; les autres, pour se sucrer le bec. Quéquienne était au nombre de ces derniers. Il avait déjà dépensé deux sous — toute sa fortune — mais il les avait mis sur la roue du même nom et, chaque fois, l’aiguille s’était arrêtée en face d’un vulgaire biscuit à la melasse. Or, c’était une pipe rouge que convoitait Quéquienne : l’une de ces belles pipes mal faites, mais formée d’un candi rouge vif et quasi transparent. Ne voulant pas redemander des sous à son père, il était à se creuser la cervelle lorsqu’une idée lumineuse jaillit dans sa jugeote de quatre ans. Il avait remarqué ce qu’il croyait être une pièce d’argent, au bout du manche de l’étrille. Il courut à l’écurie, travailla pendant une heure et finit par détacher la rondelle de ferblanc, objet de ses désirs. Il revint triomphant, s’approcha de la table du vendeur et demanda 15 pipes rouges. Surpris de cette commande inusitée, le pourvoyeur de jouissances gastronomiques lui demanda s’il avait de l’argent. — « J’ai 15 sous », répondit Quéquienne en lui présentant sa monnaie de contrebande, qui ne fut pas acceptée. Par bonheur, il y avait là une âme généreuse qui procura à Quéquienne la pipe rouge de ses rèves.

Ce fut une journée mémorable. Quéquienne étrennait ce jour-là sa première culotte : un beau pantalon de drap que sa mère lui avait confectionné à même un vieil habit. Après s’être copieusement empiffré, car il était gourmand, Quéquienne alla faire sa digestion en jouant autour des bâtiments. Il y avait là une fosse d’où l’on avait tiré de la glaise pour faire une sole de four. La pluie étant survenue, on avait recouvert la fosse de planches et de perches, en attendant qu’on pût la remplir de terre sèche. Naturel-