Après quelques heures d’un va-et-vient assez fatigant, agrémenté de fortes secousses chaque fois que l’on tentait d’accoupler ou de découpler des wagons, le convoi se remettait en marche. Le service ferroviaire était alors dans son enfance. Les voies étaient mal ballastées, les arrêts, longs et fréquents, l’organisation, tout-à-fait rudimentaire, Peu de lignes allaient directement d’un point à l’autre. Les tracés avaient été établis plutôt en vue de s’assurer une clientèle de transport que pour raccourcir les distances. Une nuit suffit maintenant pour se rendre de Montréal à Boston. Il fallait alors trois ou quatre jours pour aller de Sorel à Worcester.
Presque tous les émigrants franco-canadiens partaient avec l’intention bien arrêtée de revenir après avoir gagné assez d’argent pour mettre ordre à leurs affaires. On avait peut-être un peu trop dépensé pour de belles voitures, des harnais coûteux, de belles robes de carriole ; on s’était peut-être endetté ; ou bien l’on désirait amasser un peu d’argent afin de pouvoir établir les garçons. Les salaires réunis du père et des enfants employés dans les manufactures devaient permettre de faire des économies et de revenir au Canada pour y vivre à l’aise. Hélas ! ces optimistes prévisions ne se sont pas toujours réalisées. Après avoir grandi dans les centres manufacturiers, les enfants, une fois revenus au pays, ne pouvaient plus reprendre goût à la vie des champs.
On apportait de quoi se nourrir en route. Les changements de ligne étaient fréquents et l’attente des trains occasionnait beaucoup de retards. On couchait dans les vastes salles des grandes gares, où nos pauvres compatriotes dépaysés offraient un spectacle peu propre à les faire apprécier à leur juste valeur par des régnicoles disposés d’avance à les critiquer. Quéquienne avait été fort scandalisé de voir un idiot