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PIERRE QUI ROULE

Le Thanksgiwng Day ou jour d’actions de grâce, que certains Canadiens nommaient la Sainte-Skivine, ne dispensait pas du travail. Seulement, ce jour-là, le manufacturier faisait distribuer un dindon à chacune de ses familles ouvrières. De très jeunes fillettes et garçons, dont quelques-uns ne dépassaient pas l’âge de huit ou neuf ans, étaient astreints à ces longues heures de travail, commençant et terminant leur journée à la lumière artificielle alors fournie par une huile nommée lighting fluid.

Les maladies étaient fréquentes, et ceux qui n’étaient pas encore acclimatés fournissaient leur bonne part d’invalides et d’estropiés.

La famille Quénoche ne demeura pas longtemps dans le quartier de Bernon où elle s’était rendue d’abord et où personne ne comprenait un seul mot de français. Elle repassa le pont et alla s’installer près du centre où il y avait quelques familles canadiennes. Les deux garçons allèrent travailler dans la spinning room ou filature de chaîne de la manufacture Lyman. La manière d’agir des ouvriers et ouvrières employés dans cette salle était peu propre à donner une haute idée de leur sens moral, et nos deux jeunes Canadiens songeaient à demander du travail dans un milieu plus édifiant, lorsque Quéquienne fut atteint de fièvre typhoïde. À la suite d’une syncope qui l’avait terrassé entre deux rouets mécaniques, il dut s’aliter. Au bout de quatre semaines, il entra en convalescence au moment où son frère était frappé de la même maladie. Toute la famille y passa à tour de rôle. Peu de temps après, la sœur aînée dut se faire amputer un doigt qu’elle s’était fait écraser dans un engrenage.

Trois hommes venaient d’être condamnés à l’emprisonnement perpétuel pour un meurtre commis près de la manufacture Harris. La peine de mort étant