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Page:Trent - Litterature americaine.djvu/228

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220 LA PÉRIODE LOCALE (1830-1865)

d’Emerson d’accepter ce verdict. Par suite de ses faiblesses dans la forme et dans le fond, Emerson n’appartient pas h la peu nombreuse catégorie des grands maîtres de la prose. Son style est généralement celui du conférencier ou du prédicateur plutôt que celui de l’écrivain. S’il savait composer une phrase sonore, sa façon de coudre des notes les unes au bout des autres ne lui permit pas d’écrire tout un paragraphe, encore moins un essai entier, de main de maître ou même d’artiste.

Pour les idées également, il semble être moins grand qu’il ne le parut à ses contemporains. Cela tient beaucoup, et c’est chose assez paradoxale, à sa grandeur même. Il a vivifié à ce point la pensée de l’Amérique avec son suave idéalisme, avec sa foi splendide en la puissance, les droits et les devoirs sacrés de l’individu, avec son intrépide radicalisme démocratique, que le lecteur accepte maintenant comme banales outres naturelles des paroles qui jadis firent palpiter le cœur de la jeunesse américaine. Le prophète inspiré de la veille court le risque de passer le lendemain pour un vieux bonhomme charmant mais un peu radoteur.

Quoi qu’il en soit et quoi que nous pensions d’Emerson, philosophe, poète ou homme de lettres, il serait injuste de prétendre qu’il ne fut pas un grand écrivain, dans un sens très élevé et très particulier de ce mot. Parmi tous les Anglo-Saxons, il n’en est guère qui puisse l’approcher pour la valeur de ses indications morales et son influence stimulante. Son attitude et son caractère ne permettent pas de le comparer à Marc Aurèle ; il est probable qu’il ne saurait pas davantage être comparé au grand empereur comme écrivain, étant à ce qu’il semble moins simplement et pathétiquement noble, bien que sous d’autres rapports mieux doué — mais c’est en la