singuliers, que le plus grand nombre des hommes, je dis, des François mêmes, n'auront pas une fois dans toute leur vie besoin ni occasion de prononcer ou d'écrire, que de ceux que l'on entend, & que l'on dit tous les jours, qui se trouvent dans des Livres qui sont entre les mains de tout le monde, qu'il faut interpréter dans des Historiens, dans des Titres & dans des Chartes ? Qu'on écrive l'Histoire, sur-tout Ecclésiastique, ou la Vie des Saints, sans être instruit de la maniere dont nous avons travesti les noms propres dans notre Langue, que Bonosus, c'est Venoux, Verus Ver, Rodingus ou Chrodingus Rouin, Vincentianus Viants, Paduinus Pavin, Romulus Romble, Nicetius Nisier, ou Nisiez, Natalis Noël, ou No, Fanchea Faine, Austrigisileus Outrillet, Odilo Ougean, ou Olon, Valerius Vauri, Leonius Liêne, Tigridius Terrède, Hiemulus Gemble, Vodoalus Voël, Varocus Guérec, Ceadmaimus Cémon, Valburgis Gauburge, Vaubourg, Falbourg, & Avaugourd, Eorcungoda Artongathe, Almachius Telemaque, Mathildis Mahaut, Sacerdos Serdot, Desiderius Didier, ou Dizier, Deodatus Dié, Hadelangis Halloie, Flosculus Flou, Valdus Gaud, Adelelmus Alleaume, Linentius Louent, Marius Mari, Lupatius Lubais, Caidocus Cazou, Ulfus Ou, Deicolus Déel, &c. On défigurera tous ces noms, & l'on ne reconnoîtra plus ceux qui les ont portés, dans les lieux mêmes où la plûpart sont honorez comme Saints. Combien de ces sortes de mots, qui dans leur origine étant les mêmes, ont néanmoins dans notre Langue presque autant de différentes formes, qu'il y a de différens Saints qui les ont eus, ou de différens lieux, où le culte de ces Saints s'est établi ? Quelle confusion l'ignorance de l'usage ne produira-t-elle pas, si on les emploie indifféremment & sans distinction, & qu'on dise Basile, quand il faut dire Vêle pour Basilius, Maximin au-lieu de Mémin Maximinus, Patrocle au lieu de Pârre Patroclus, Cyprien au lieu de Subran Cyprianus ; Agrippa, ou Agripin, pour Aggrève, Agrippa, ou Agripanus, Paschase pour Pâquier Paschasius, Gélase au lieu de Giorz Gelasius, Domitien au lieu de Tuitien Domitianus, Sulpice au lieu de Soupplex Sulpicius, Léon au lieu de Lez Leo, Emilien pour Miani Æmilianus, Dagobert au lieu de Dabert Dagobertus, Pallade pour Palais Palladius, Celse pour Ceols Celsus ? Ne seroit-il pas ridicule de dire Isabeau Reine d'Angleterre, Elisabeth Reine de Castille, & Isabelle mere de saint Jean-Baptiste ? Il faut donc qu'un Dictionnaire nous apprenne quel est l'usage dans ces mots.
Il en est de même des noms de lieu. Un Etranger qui sçaura que Turones c'est la Touraine, interpretera Pictones la Pictaine, & Santones la Santaine, au lieu de dire le Poitou & la Saintonge. Il ne s'imaginera jamais que trois Provinces qui se touchent, & dont les noms sont dérivez de mots d'une terminaison semblable, se soient déguisez d'une maniere si différente. Se trompera-t-il moins aux noms des peuples, qui habitent ces Provinces, & devinera-t-il aisément qu'il faut dire Turo Tourangeau, Picto Poitevin, & Sancto Saintongeois, ou Xaintongeois ? Combien même de nos François ignorent que ceux du Hainaut s'appellent Hennuyers, ceux du Berry Berruyers, ceux du Pays de Caux Cauchois, ceux du Périgord Périgourdins ? Je ne parle que des noms des peuples & des lieux de France, que sera-ce des Etrangers ? On appellera Naples en françois tout ce qui s'appelle Neapolis en latin, où l'on dira Naples de Romanie, Napoli en Syrie, & Naplouse en Italie : on confondra Royaumont dans l'Isle de France, Montreal en Canada, & Konigsberg en Prusse, parce que ces trois lieux signifient & se nomment Regius Mons. Importe-t-il plus de savoir le nom d'un oiseau & d'un serpent de l'Amérique, d'un fruit de Perse, ou d'une plante de la Chine, ou de l'Afrique, d'en avoir des descriptions exactes, qui les caractérisent bien, que de savoir distinguer les noms des hommes & des lieux, que nous avons sans cesse à la bouche, dont nos Histoires & nos Livres sont pleins, & que nos Ecrivains souvent expriment mal ? Où trouvera-t-on mieux, & plus aisément, ces différences & les remarques qu'il faut faire sur cela, que dans un Dictionnaire ? N'est-ce pas là leur place naturelle ? Quel embarras ! quel travail que d'avoir à les chercher ailleurs ? Qui a tous les Livres nécessaires pour s'en instruire ? Combien de gens d'étude, d'Avocats, d'Antiquaires, de ceux qui sont obligez de lire d'anciens Titres, des Chartes, de vieux Auteurs, seront-ils ravis qu'on leur épargne cette peine ? Enfin combien y a-t-il de phrases & de façons de parler populaires ou proverbiales,
Tome I.