Page:Trolliet - La Route fraternelle, 1900.djvu/152

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LOUISE, l’interrompant.

L’abîme est supprimé, puisque je l’ai franchi.
Va ! j’ai dans la douleur longuement réfléchi ;
Nul précepte divin et nulle force humaine
N’arrêteront jamais ceux que l’amour entraîne.
J’étais loin, et pourtant me voici.

RAOUL.

J’étais loin, et pourtant me voici.Mais comment ?

LOUISE.

Lorsque j’eus dans mon cœur cédé secrètement,
Pour une ville d’eaux, à ces monts adossée,
Je partis seule un jour, avec cette pensée
Que de là je pourrais arriver jusqu’à toi.
La femme ne pouvait pénétrer sous ce toit ;
Sous ce déguisement j’ai dérobé la femme.
J’entrai sans peur, l’amour enhardissant mon âme,
Et Dieu, sans doute, aidant mon projet hasardeux.
Dans le long corridor, devant moi, deux à deux,
Des moines tout à coup passèrent, toi du nombre.
— Comme en te revoyant je frissonnais dans l’ombre !
Et tous regagnaient leur cellule, et c’est ainsi
Que j’ai connu la tienne et que je suis ici.

RAOUL, transporté malgré lui.

Et que je suis à toi, tout à toi !… Mais que dis-je ?

Il se contient de nouveau et dit à part :
Mon âme contiens-toi, résiste au doux vertige.