Page:Trolliet - La Route fraternelle, 1900.djvu/154

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LOUISE, éclatant et avec précipitation.

Tu ne comprends donc pas tout ce que j’ai souffert !
Tant que l’amant est là, tant qu’on peut voir encore
Ce regard qui vous parle et ce front qu’on adore,
On se croit du courage, on a de la vertu !
Mais dès qu’il est parti, le cœur tombe abattu.
L’héroïsme d’hier paraît une démence,
Et l’exil commencé, le supplice commence,
Ce supplice honteux aussi bien qu’étouffant :
Se trouver toujours seule auprès de son enfant,
Auprès de son mari, se trouver toujours veuve.
Non ! non ! je ne veux plus recommencer l’épreuve.
J’ai lutté vainement, vainement j’ai prié.
Ah ! que de fois à Dieu, dans la nuit, j’ai crié
Ces seuls mots : « Ô Seigneur ! faites que je l’oublie ! »
Mais toujours de toi seul mon âme était remplie.
Mon âme, t’ai-je dit ? Mais toute ma maison,
Et la vaste nature, et le vaste horizon,
Tout était plein de toi ; mais le parc, les allées
Où mêlant nos deux cœurs, nos voix s’étaient mêlées,
L’espace où, dans le vent, pleurait ton souvenir,
Les eaux, les fleurs, les cieux, tout semblait nous unir,
Nous unir à jamais.

RAOUL, avec une tristesse calme.

Nous unir à jamais.Pourtant tout nous sépare.
Ô doux cœur féminin que la tendresse égare,
Aujourd’hui comme hier nous sommes séparés :
Nos pleurs n’ont pas détruit les obstacles sacrés ;
La souffrance n’a pu renverser la barrière ;