Aller au contenu

Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écoulé un assez long temps depuis sa sortie de la maison. Peu à peu il s’endormit et fit un rêve. Il rêva qu’il était seul dans une barque, le livre caché sous le banc, et qu’il ramait vers la haute mer, jusqu’au moment où il pouvait être devenu invisible du rivage. Alors il levait le livre et allait se décharger pour toujours du poids qui l’accablait, — quand arriva à la nage un homme vigoureux. L’homme observait fixement tous ses mouvements ; il ne jeta pas le livre, et il reconnut dans le nageur le jeune Joseph Cantor, qui avait si résolument soutenu qu’un autre testament avait été fait.

La vision ne s’était pas encore dissipée, qu’il fut éveillé soudain, soit par un attouchement, soit par un son ; il ne put s’en rendre compte. Il leva les yeux et reconnut le jeune homme qu’il avait vu nager vers lui dans la mer. Le terrain sur lequel il était dépendait de la ferme du vieux Cantor, et la présence du fils n’aurait rien eu qui pût le surprendre, s’il avait un peu réfléchi. Mais il lui semblait que le nouveau venu avait lu toutes ses pensées, et parfaitement interprété le songe qu’il venait lui-même de faire.

« C’est vous, monsieur ? dit le jeune homme.

— Oui, c’est moi, dit le cousin Henry, tremblant encore sur le gazon où il était couché.

— Je ne savais pas que vous étiez ici, monsieur, je ne savais pas que vous y vinssiez jamais. Bonjour, monsieur. » Et le jeune homme s’en alla, ne se souciant pas de prolonger la conversation avec un maître qui était si peu selon son goût.

Henry rentra chez lui, toujours sous l’impression de son rêve. Le lendemain matin, il se décida à faire un nouvel effort et à vivre de la vie de tout le monde. Il sortit, prit la route qui, en passant le long de l’église, conduisait à la crique, et, à deux milles de