Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/114

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d’aimer ainsi d’un amour passionné et dévoué. Pourtant, je l’ai fait. Mais je crois pouvoir assurer que je ne commettrai plus jamais cette sottise.

— Vous avez souffert récemment, Caroline, et la blessure est encore trop vive pour que vous puissiez croire au bonheur qui, peut-être, vous est réservé.

— C’est vrai ; j’ai souffert, dit-elle ; et Harcourt sentit, au mouvement du bras qui s’appuyait sur lui, qu’elle frissonnait de tout son corps.

Il marcha pendant quelque temps, en silence, plongé dans ses réflexions. Pourquoi épousait-il cette jeune fille qu’avait quittée son premier amoureux ? Il était à l’apogée de sa prospérité ; il avait à offrir tout ce que les mères désirent pour leurs filles, tout ce que les filles désirent pour elles-mêmes. Il avait la fortune, le rang, la célébrité, la jeunesse et le talent. Pourquoi jetterait-il tous ces trésors aux pieds d’une orgueilleuse, qui les acceptait, en lui jurant qu’elle ne l’aimerait jamais ? Ne ferait-il pas mieux de reculer ? Il n’avait qu’un mot à dire pour cela ; car l’orgueil de Caroline était bien réel. Harcourt sentait au fond du cœur qu’elle n’affectait rien de ce côté-là. Il n’avait qu’à lui dire qu’il ne pouvait se contenter de ses froids regards, et elle le prierait tout simplement de la reconduire chez elle et de la laisser. Rien de plus facile pour lui que de se dégager.

Mais sir Henry la regarda. Non pas avec les yeux du corps, car elle marchait à ses côtés et il n’aurait pu, physiquement, obtenir la vue d’ensemble que réclamait son esprit critique. Mais il l’examina attentivement avec