Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/200

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où nous parlons, George y voyait clair. Il connaissait enfin son père.

George n’avait pas un esprit qui lui permît de repousser ou de modifier à volonté ce qu’il avait appris parce que cela concernait son père. Il est des gens pour lesquels les fautes d’un père, d’un frère ou d’un mari ne sont pas des fautes. De ces gens-là on est tenté de dire que, si leur jugement n’est pas des plus sains, leur cœur fait plus que de suppléer leur jugement. On reconnaît qu’ils ont tort, et pourtant on ne saurait pas les souhaiter plus perspicaces qu’ils ne sont.

Mais George Bertram n’était point ainsi fait. Il ne s’était pas hâté de blâmer son père, mais les fautes de celui-ci une fois connues, il les avait jugées et condamnées sans retour. Il s’aperçut que son oncle avait eu raison et que sir Lionel était un homme qu’il ne pouvait nullement estimer, et qu’il lui était même assez difficile d’aimer. Il comprit que l’argent était ce que recherchait son père. Il se décida, en conséquence, à lui en fournir autant que lui permettaient ses moyens, mais à ne lui donner ni son temps ni sa société.

Quand donc sir Lionel annonça son arrivée à Londres et son intention d’y passer quelque temps avec son fils, Bertram n’y vit pas une consolation. À cette époque, il était profondément malheureux. Il n’avait compris la force de son amour pour cette femme que depuis qu’elle était perdue à tout jamais pour lui ; mais, quoique faible et indécis à bien des égards, il ne l’était pas au point de s’abandonner sans résistance à une inutile douleur. Il savait que le travail seul pouvait le sauver